Bien sûr je comprends la démarche et je la soutiens même dans bien des cas. Je ne jette la pierre ni au commerçant, ni à l'artiste, mais si j'ai pris la peine d'exagérer volontairement mes propos c'est parce que malheureusement, cette pratique est devenue monnaie courante et que certains artistes font désormais partie des plus grands bénévoles accouchés par une société qui banalise un peu trop leur travail de création. Plus grave encore, certains d'entre-eux payent pour travailler et pour exposer, avec l’unique espoir de se faire un nom. J’en connais même qui ont déboursé des 2 et 3000 dollars pour avoir un article dans un magazine d’art et parfois beaucoup plus pour pouvoir exposer à Montréal, Paris, New York ou ailleurs, dans des galeries dont l’objectif unique n’est pas de les promouvoir mais de faire de l’argent. Imaginez, dix artistes qui versent 3000 dollars chacun, c’est déjà 30.000 dollars qui entrent dans la caisse de la galerie avant même que ne commence une exposition qui finalement ne durera que quelques jours… Ces artistes, dont je comprends parfaitement l'intention, doivent quand même être conscients que personne n'est dupe et encore moins les professionnels de l'art. Tous connaissent les magazines, les galeries ou les lieux de diffusion où il suffit de payer pour être représenté. Ils pourront dépenser des milliers de dollars, ces expériences n’apporteront aucune valeur ajoutée à leur CV, bien au contraire! Galeries, festivals, symposiums et autres salons… il en coûte de plus en plus cher aux artistes pour avoir ne serait-ce que le plaisir de montrer ce qu’ils savent faire. Outre les coûts d’inscription et les prix des kiosques qui ne cessent d’augmenter, l’artiste doit aussi faire face à des frais de production, de déplacement et parfois même d’hébergement et de restauration; sans compter le transport et l'installation du matériel, ainsi que le temps passé sur place. Tout ça dans l’espoir de réaliser une vente et toujours au nom de cette sacro-sainte visibilité qui finit par leur coûter tellement cher que certains baissent définitivement les bras ou décident d'emprunter d'autres voies comme le web et les réseaux sociaux par exemple. Le concept de la visibilité est aussi allègrement pratiqué en région, par des organisations qui, se drapant dans la bonne conscience de la promotion de l'art et des artistes locaux, leur demandent de plus en plus d’exposer leurs œuvres dans leur hall d’accueil ou leur salle de réunion par exemple. Salle de réunion fréquentée de temps en temps par quelques personnes, quelques cadres qui ont probablement d'autres préoccupations et d'autres chats à fouetter que la richesse des textures, des ombres et des couleurs. Les œuvres de l’artiste finiront très vite par se fondre dans le paysage, au même titre que la plante verte, le téléphone, l’écran de projection ou la cafetière. Tu parles d’une visibilité! Si certains organismes proposent un cachet aux artistes, la plupart d'entre eux ont surtout trouvé là une bonne manière d'apporter un peu de couleurs à leurs murs et de changer régulièrement de décor à moindre coût. La visibilité a bon dos. J’aimerais proposer à tous ceux qui en vantent les vertus (dans leurs propres intérêts la plupart du temps), d’essayer de payer leur épicerie ou de régler leur facture d’électricité avec de la visibilité. Pas sûr que ça fonctionne! N’allez surtout pas penser que je m’élève contre ce fameux concept de visibilité. Il est important pour un artiste, voire même indispensable, mais pas à n’importe quel prix! Si certains projets y font insidieusement appel pour assouvir les besoins de reconnaissance (ou les besoins pécuniers) de leurs organisateurs, d’autres sont conçus et élaborés uniquement pour permettre aux artistes d’être connus du plus grand nombre. Ce fut le cas par exemple pour le projet "À table avec les artistes" pour le restaurant Patate & Persil de Vaudreuil-Dorion que je vous invite à découvrir ici. Chaque table réalisée par un artiste a été identifiée, photographiée et largement diffusée sur le web, avec le nom du créateur, celui de l’œuvre et la mention des techniques utilisées. Ce restaurant est fréquenté par des dizaines de milliers de clients chaque année et bon nombre d’entre eux ont découvert des artistes de la région qu’ils ne connaissaient pas encore et à qui ils commanderaient volontiers une œuvre. Des photos des tables circulent sur les réseaux sociaux et avec elles, les noms des artistes qui les ont réalisées. Le restaurant est devenu la plus grande exposition permanente de la région avec 27 tables d’artistes déjà installées sur une quarantaine de prévues. Un projet gagnant/gagnant… pour Éric Blais, le propriétaire de ce restaurant qui attire une clientèle de plus en plus nombreuse, pour les artistes dont le style et les noms désormais connus circulent et pour le grand public qui vit chez Patate & Persil une expérience unique et une immersion dans l'univers créatif d'artistes locaux qu'ils découvrent enfin. Tous les ingrédients de réussite sont réunis dans ce projet: augmentation prévisible du chiffre d'affaires du restaurant, notoriété et visibilité incroyable pour les artistes et plaisir des clients... le tout baigné d'un d'un grand sentiment d'appartenance et d'un élan créatif devenu contagieux. Ce projet a également démontré, si besoin était, que l’Art et les Affaires pouvaient faire bon ménage. Espérons que cet exemple soit suivi ailleurs, mais en n’oubliant jamais l’intérêt de nos artistes. C’est eux qui sont importants dans une société qui plus que jamais a besoin de rêve, d'évasion et de couleurs. Et ça, ça n'a pas de prix! C'est vrai que les artistes font énormément de bénévolat et donnent beaucoup de leur temps. Mais ce n'est en rien une nécessité pour eux de le faire à tout bout de champ... Laissons-leur au moins la liberté de choisir leurs causes et de servir celles qui leur sont chères. “Si on payait mieux les bénévoles, ça donnerait peut-être envie à plus de gens de travailler gratuitement” a dit le dessinateur humoristique Philippe Geluck. Certains devraient y réfléchir un peu... Photo de Christian Gonzalez : Daniel Bouguerra
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AuteurChristian Gonzalez Catégories
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