Photo : Christian Gonzalez Il y a quelques années un ami avait reçu la visite d’un parent de France qui lui avait apporté un cadeau fort intéressant. Il s’agissait d’une reliure d’une dizaine de pages constituée d’une série de dessins illustrant une scène urbaine traditionnelle. Au fil des pages quelques transformations ici et là modifiaient discrètement la scène puis le rythme des changements s’accélérait au point ou les traces de l’image d’origine se faisaient plus difficiles à déceler. Au final plus rien ne transpirait du lieu d’origine, sauf peut-être quelques vestiges paraissant incongrus et hors contexte. Trente ans plus tard ce petit fascicule est resté gravé dans ma mémoire, sorte de témoin en accéléré des changements qui peuvent s’opérer dans une ville en l’espace de quelques générations. La région de Vaudreuil-Dorion n’est pas en marge de ce phénomène. Il suffit de circuler de l’avenue Saint-Charles vers la périphérie pour constater les différentes phases de la transformation du tissu urbain. La ville est toujours fascinante, c’est un livre d’histoire qu’il suffit de parcourir pour en saisir le cheminement à travers ses phases de développement.
Avec le développement de la société de consommation, la façon de concevoir les villes s’est modifiée, les habitudes de déplacement se sont transformées, conséquence inévitable de l’accroissement du parc automobile. Les commerces se sont regroupés sous la forme des "strips" commerciaux de l’après-guerre, alignement banal de petits locaux que seules les enseignes permettent de différencier du voisin. Ils sont aussi caractérisés par la zone de stationnement les séparant de la rue. L’architecture s’exprime désormais (du moins dans ce domaine) par une simplicité des lignes, une facture moderne, une économie de moyen mis au service de la fonctionnalité. Cette formule s’est imposée comme modèle dans l’aménagement de nouvelles rues. Le boulevard Harwood constitue un bon exemple d'artère dédiée spécifiquement à l’usage commercial.
Le nouveau modèle depuis une décennie est celui du retour aux "strips" commerciaux. Il résulte pour beaucoup des récentes crises économiques qui ont forcé les propriétaires de centres d’achats à réviser leur plans d’affaire, à la recherche d’une formule moins dispendieuse et exigeant moins d’investissements (qui dit mails intérieurs gigantesques, foires alimentaires à perte de vue, dit espaces à chauffer, à climatiser, à entretenir et à revamper périodiquement). Photos : Christian Gonzalez La saveur du jour est désormais aux rues commerciales dont les façades sont immenses et souvent exubérantes afin d’attirer l’attention puisque l’on circule à bonne vitesse en voiture sur de larges boulevards urbains qui se situent à mi-chemin entre la rue et l’autoroute (boulevard de La Gare à Vaudreuil-Dorion, par exemple). À une époque ou le souci de l’environnement est omniprésent, cette approche est questionable : la quantité énorme de matériaux requis pour la construction de tels géants est indécente, la création de très gros volumes à chauffer et climatiser qui n’ont pour raison d’être que le coup d’œil, les stationnements à perte de vue, cause principale des îlots de chaleur considérés comme néfastes. Ce design procède du même principe de mise en marché que celui des emballages plus gros que le produit qu’ils contiennent. Think big… Les banlieues sont à mille lieues de la tendance qui souhaite un retour à un mode de vie moins énergivores, plus en accord avec le développement de villes conçues à l’échelle humaine. Notre réseau routier en témoigne. La ville est cernée d’autoroutes qui l’étranglent et rendent son expansion naturelle impossible. Pour en sortir, il faut emprunter de gigantesques échangeurs, si vastes que les portions gazonnées qu’ils englobent ont la taille de terrains de football ou de quartiers résidentiels. Lorsqu’on songe aux gens qui habitent, s’épanouissent et contribuent à l’essor de la ville, est-ce ce genre d’endroits qui nous vient à l’esprit? Assiste-t-on dans ces nouveaux temples de la consommation à des événements festifs (mosaïcultures, festival du cirque)?, à des rassemblements populaires (fête nationale et autres)? Les artistes ont-ils le réflexe d'utiliser de tels boulevards pour l’installation d’une œuvre d’art publique? Voit-on ces environnements dans les feuillets promotionnels ou touristiques de la ville? Poser ces questions c’est déjà y répondre... Ce qui forge la personnalité d’une ville, outre la spécificité de sa géographie, c’est la diversité des initiatives de développement, toutes plus originales et différentes les unes des autres, tel une famille ou chacun contribue par son caractère à donner une identité au groupe. Il n’est pas évident que ces opérations de décapage de nos campagnes à grand coup de bulldozer sur des kilomètres en quelques mois contribuent à la définition de l’identité locale et de la spécificité régionale. Un malheur n’arrivant jamais seul, c’est la même opération qui se déploie partout au Québec avec les mêmes décors préfabriqués, tristes portes d’entrées sur des villes devenues banales, monotones et impersonnelles. Des décennies d’urbanisme pour en arriver à des environnements d’une froideur saisissante qui ont l’allure de décors de scène grotesques en papier mâché , l’âme et la vitalité d’un parc industriel un dimanche soir. Pas toujours heureux de remettre le sort de nos villes entre les mains des promoteurs. Un peu dommage tout cela, non? Photo de Pierre Laurin : Daniel Bouguerra
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AuteurChristian Gonzalez Catégories
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