Libre sans eux Le merveilleux livre La femme qui fuit fut une belle découverte en 2017. Il y a de ces femmes qui auraient voulu vivre une vie différente, une vie de pleine liberté et d'exil. Des femmes qui se retrouvent mères sans l'avoir vraiment désiré et qui abandonnent leur rôle faute de désir et de bonheur. Il y a des femmes qui ne peuvent vivre libres avec eux. Anaïs Barbeau-Lavalette nous raconte avec brio et une grande sensibilité la réalité fictive de sa grand-mère, qui a abandonné sa fille et son fils pour vivre sa vie ailleurs, loin de ses grandes responsabilités, qu'elle n'avait peut-être pas réellement choisies avec plaisir. Elle nous dévoile une femme qui, pour trouver le bonheur, a fait le choix de quitter sa famille pour toujours. Une femme qui, dans l'absence, semble n'avoir trouvé qu'un grand vide. Elle nous raconte sa première rencontre comme si elle pouvait se souvenir de chaque détail, peut-être pour combler ce mystère de ne pas avoir connu réellement cette femme. "La première fois que tu m'as vue, j'avais une heure. Toi, un âge qui te donnait du courage... Ma mère venait d'accoucher de moi... Elle est la plus belle du monde. Comment as-tu fait pour t'en passer ? Comment as-tu fait pour ne pas mourir à l'idée de rater ses comptines, ses menteries de petites filles. Ses dents qui branlent... ? Où est-ce que tu t'es cachée pour ne pas y penser? Je me retrouve près de ton visage. Je bouche le trou béant de tes bras. Je plonge mon regard de naissante dans le tien. Qui es-tu ? Tu t'en vas. Encore." Ce vide qui lui appartient Puis, il y a des traces de son absence qui s'inscrivent tout au long de notre lecture. Des traces de ce vide et de ce froid qui nous assaillent violemment malgré la douce discrétion de ses départs. Anaïs révèle, avec délicatesse, la tristesse d'une femme seule malgré tout, malgré la présence de gens qui l'aiment par-dessus tout. Une femme qui ne semble jamais réussir à s'aimer, à comprendre qui elle est réellement. C'est donc l'ombre d'une femme qui habite ses pages. Une silhouette diaphane qui s'effrite au fil des chapitres, qui pourrait facilement tomber dans l'oubli si ce n'était pas de ce livre, qui lui permet de renaître un instant. "Tu reviens chez toi en ébullition. Les jours reprennent leur cours, mais tu les traverses autrement, portée par le courant. Tu sais maintenant que tu as un ailleurs. Ce que tu ne sais pas, c'est que tu en auras toujours un, et jamais le même. Ce sera ta tragédie." Une femme qui ne trouve sa place nulle part dans le monde. Ni auprès de ses enfants, ni auprès de grands hommes et de femmes qu'elles côtoient. Les phrases coulent et décrivent une solitude, une peur de vivre dans la vérité de son être. Le désir de trouver L'auteure et petite-fille de cette femme absente, décrit l'incohérence, la grande difficulté d'attachement de sa grand-mère Suzanne Meloche. Peut–être qu'en écrivant ces lignes, retrouve-t-elle la force de lui pardonner cette fuite constante. Peut-être que ces lignes lui permettent de mieux comprendre cette souffrance insoutenable qui habitait sa grand-mère. Ce manque d'amour malgré les vagues de douceur et les gestes affectueux de son entourage. Cette soif de désir qui l'envahit, qui prend toute la place de l'engagement. "Parce que je suis aussi en partie constituée de ton départ. Ton absence fait partie de moi, elle m'a aussi fabriquée. Tu es celle à qui je dois cette eau trouble qui abreuve mes racines, multiples, profondes. Ainsi, tu continues d'exister. Dans ma soif inaltérable d'aimer. Et dans ce besoin d'être libre, comme une nécessité extrême. Mais libre avec eux. Je suis libre ensemble, moi." Elle termine son livre sur l'empreinte que laisse le passé sur elle, mais surtout sur cette transformation du cœur à l'image de sa propre volonté et de son expérience de la vie. Malgré l'absence du soleil qui a marqué sa famille, son livre redonne l'espoir d'une vie nouvelle dans la possibilité de se reconstruire une belle lumière. En se souvenant de ce qui a déjà existé avec beaucoup d'amour, peut-être. Photo de Marie-Belle Ouellet : Daniel Bouguerra
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AuteurChristian Gonzalez Catégories
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