Dans ma dernière chronique, j’ai parlé du vent de changement qui soufflait sur l’enseignement des arts au Québec. Et bien, j’ai retenu mon souffle lorsque j’ai pris connaissance des nouvelles statistiques que l’Institut du Québec a publiées sur le décrochage scolaire et la performance des garçons. L’étude démontre que le Québec est bon dernier en matière de diplomation au Canada et que l’écart avec les autres provinces tend à s’accroître. À peine 64 % des élèves obtiennent leur diplôme de secondaire en cinq ans dans le réseau public au Québec, contre 84 % en Ontario. Un courant dominant laisse également entendre que les garçons réussissent mal à l’école et que celle-ci n’est pas adaptée à leurs caractéristiques et à leurs besoins. Et pour preuve, c’est au Québec que l’écart entre le taux de diplomation des filles (71 %) et des garçons (57 %) est le plus prononcé. Comme beaucoup de Québécois, je suis restée perplexe devant ce constat alarmant. Pour quelles raisons un petit gars d’ici aurait moins de chances d’obtenir un diplôme que le même petit gars de l’autre côté de la rivière des Outaouais? Évidemment, je ne me substituerai pas aux experts pour trouver des solutions, toutefois j’aimerais vous partager mon expérience dans une école de la région. Depuis le début de mois de mars, je dispose à l'école primaire Birchwood de Saint-Lazare, d'un local qui me sert d'atelier pour accueillir 18 classes de la maternelle à la 6e année. Le volet Une école accueille un artiste du programme La culture à l’école appuie des séries d'ateliers créatifs de nature pratique, animés par des artistes professionnels à l’intention des jeunes en milieu scolaire. Cette résidence d’artiste permet aux élèves de l’école Birchwood de participer à un travail d’expérimentation de dix semaines et me donne la possibilité de vivre une expérience en milieu scolaire et de m’en inspirer pour créer des oeuvres collectives et personnelles. Les élèves de cette école participent donc à la réalisation d’une immense murale intitulée Canopy, care, create, connect et à deux projets parallèles qui me donnent l'opportunité d’offrir des ateliers artistiques de qualité à des plus petits groupes. Pendant que j’enseigne les notions de peinture à l’éponge à certains élèves pour réaliser la murale sur des panneaux en PVC, les autres s’appliquent à faire du tissage circulaire. À l’issue de ces semaines d’accompagnement, la grande majorité des élèves aura, entre autres, réalisé une partie de la grande murale extérieure, tissé les petits nids d’une installation intérieure, assemblé un nid géant et peint des maisonnettes d’oiseaux très colorées. Mon espace de création étant dans l’atrium, ils ont pu constater l'avancement du projet collectif et poser des questions. Étonnamment, j’ai eu beaucoup plus de questions de la part des garçons qui sont intrigués par le matériel, les outils, les étapes de production, mais aussi l’installation à venir. Lorsque je prépare des ateliers artistiques de cette nature et de cette ampleur, j’essaie d’anticiper toutes les éventualités. Par expérience, je savais que les garçons comme les filles seraient grandement intéressés par la complexité de la murale. Toutefois, j’avais un doute quant aux garçons. Je me demandais s'ils allaient trouver leur compte dans la réalisation d’une œuvre tissée utilisant des bouts de laines et des aiguilles, puisque le tissage peut sembler à priori une activité correspondant plus aux goûts des filles. Pourtant, à ce jour, chaque classe a reçu six ateliers d’une heure et je n’ai pas eu de petit décrocheur !!! Pourquoi me direz-vous?
J’ai accordé une grande place à l’action, à la manipulation et au concret tout en leur permettant une souplesse dans la façon de faire; je les ai laissé bouger et tisser debout à condition que leurs doigts s’activent. Le CD dont j’avais préalablement ajouté un certain nombre de fils devait avoir un nombre impair de fils de chaîne pour que le motif se décale à chaque tour et créer un effet de spirale. Le nombre de fils représentait également des fractions et les bouts de laine qui variaient de 50 à 100 cm de longueur. J’ai également fait un lien entre la réalisation d’un nid en tissage circulaire et les spirales qui existent dans la nature (coquilles d’escargots, cactus, nébuleuse). Sans le savoir, ils faisaient des mathématiques et par l’analogie, ils faisaient des liens avec la biologie et l’astronomie. Si pour la plupart, c’était un défi de tisser sur une si petite surface et de surcroît recto-verso, j’ai été étonnée de les voir arriver avec le sourire aux ateliers en démontrant un intérêt qui n’avait pas diminué après 6 heures d'atelier. Plusieurs garçons ont même demandé à faire un deuxième nid. Est-ce qu’il faut enseigner différemment aux garçons, alors? NON, ça passe davantage par les centres d’intérêt, par les défis, par les accommodements à bouger et peut-être aussi par les arts. Les expériences dans les arts offrent de nombreux avantages intrinsèques et extrinsèques aux élèves du primaire. Les avantages intrinsèques comprennent des occasions de développer la créativité et l'imagination, et d'exprimer la joie, la beauté et l'émerveillement. Les arts présentent également des occasions d'enrichir la qualité de leurs vies et de développer des moyens efficaces d'exprimer des pensées, des connaissances et des sentiments. Mon travail d’artiste en milieu scolaire consiste à transmettre la meilleure technique artistique pour le projet proposé et à mettre les élèves en confiance pour que leur créativité soit stimulée. Ceci étant, je reste persuadée que si un élève aime son enseignant, il aura beaucoup plus envie d’apprendre. Mon premier défi est alors de réussir à créer des liens en m’intéressant à ce qui les intéresse… le hockey, les jeux vidéos ou à toute autre activité qui pourrait les passionner. Lorsque je parle des outils que j'utilise (perceuse, sableuse, torche à souder), ça impressionne les garçons! En fait, je suis un peu ratoureuse: je passe par différents chemins pour capter leur attention et les intéresser au projet que je leur soumets. Je fais volontiers place à l’improvisation et je leur permets d’expérimenter dans un souci d'atteinte d'autonomie. Dans les groupes qui comportent de nombreux élèves, je n’hésite pas à faire appel aux plus débrouillards pour aider les autres. Par exemple, lorsque j’ai constaté lors du projet des nids que très peu d’enfants du primaire savaient faire des nœuds, je leur ai donc enseigné la méthode puis je me suis entouré de jeunes spécialistes des nœuds pour aider les autres enfants. Naturellement, les garçons sont comme des spirales d’énergie où le courant emmagasiné doit être libéré et canalisé pour mieux fonctionner et éviter de provoquer des réactions non souhaitées. Les garçons ont besoin de concret, ils sont aussi plus visuels et ont besoin de bouger. Réalisations de Sprice Machines & Dynamic Domino À l'instar de cette spirale faite de 12,000 dominos, j'espère que le Ministère de l'éducation et tous les responsables des programmes pédagogiques puissent trouver et assembler toutes les pièces de ce grand casse-tête afin que scolarisation des garçons s'arrime enfin à celle des filles. Plus que jamais, La réussite scolaire représente un enjeu majeur pour le Québec. Bibiographie Jessica Nadeau - "L’Ontario fait réellement mieux que nous" en matière de diplomation, Le Devoir, 5 mai 2018. Pierre Potvin - Le problème de réussite scolaire des garçons - Collège du Mont-Sainte-Anne, Sherbrooke, 6 mai 2011. Robin Renault - "Arts plastiques et créativité : une question de genre?" Faculté d’éducation, Université de Sherbrooke. Photo de Madeleine Turgeon : Daniel Bouguerra
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AuteurChristian Gonzalez Catégories
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